
Le 1er janvier 2024, « Pôle Emploi » devenait « France Travail ». Une changement d’identité qui n’est pas anecdotique et porte un projet politique. Que signifie la refonte d’identité pour une institution publique ? Qu’avons-nous lu, chez Koda conseil, de cette modification ? Décryptage.
S’engager dans la refonte de son identité, éditoriale et visuelle, est un événement majeur de la vie de l’entreprise, en termes de communication, mais pas seulement. Derrière un changement de nom et de logo, il y a un changement… de fond.

Un nom, une identité
Un nom et un logo attirent l’attention, provoquent
la reconnaissance, la mémorisation, créent des associations positives. Ces éléments reflètent l’identité interne et la culture d’une entreprise.
Ceux d’une marque portent, en outre, un affect sur un marché donné : ce sont des marqueurs, des éléments discriminants dans l’acte d’achat du consommateur.
Pour une entreprise privée, nom et logo sont donc un capital et revêtent une dimension stratégique.
Les structures publiques ont, elles, généralement, un rôle central dans la société qui garantit leur notoriété. C’est le cas, par exemple, pour l’Assurance Maladie et toutes les branches de la Sécurité sociale : incontournables, connues de tous, leurs bénéficiaires sont en quelque sorte « captifs » et leur identité ne porte pas la notion de « capital ». Pour autant, elle est liée à leur histoire, dans cet exemple à celle de leur pays également, aux représentations que les bénéficiaires s’en font et… aux projets politiques qu’elles portent, quoiqu’il en soit.
Dans les deux cas, ces changements sont fortement liés à l’image et à la réputation de l’entreprise ou de l’institution.
Pourquoi changer de nom ?
Plusieurs éléments peuvent générer un changement de nom :
- Le souhait d’un nouveau départ,
- La volonté de recréer une image positive,
- Une restructuration / fusion…
Dans le cas de France Travail, ce changement accompagne les intentions de la loi pour le plein emploi (1): « La loi prévoit en effet de doter le nouvel opérateur France Travail de missions élargies devant permettre de mieux accompagner toutes les personnes en recherche d’emploi et toutes les entreprises grâce à une coopération renforcée et inédite entre tous les acteurs de l’emploi, de l’insertion et de la formation. » (Olivier Dussopt, communiqué de presse Pôle Emploi le 15 décembre 2023 – 2).
Cette démarche et ces symboles soutiennent une pensée politique. Dans ce cas, la réappropriation de la valeur « travail », leitmotiv du candidat à la Présidence de la République 2022, Emmanuel Macron, lequel avait inscrit ce projet – et le changement de nom de Pôle Emploi – dans son programme électoral : « Pour ramener le plus grand nombre sur le chemin du travail et atteindre le plein emploi » (3). Remarquons que, dans ses vœux 2023 aux Français, Emmanuel Macron mentionnait le terme « travailler » / « travail »… 17 fois… (4)
Notre analyse
Prenons ces deux éléments de contexte, qui ont encadré 2023 :

- En janvier, l’IFOP publiait son étude « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail » et posait le constat d’une place moins centrale du travail dans la vie des français (5).
- Le 15 décembre de la même année, Olivier Dussopt, alors ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion, dévoilait le futur logo de l’opérateur public de l’emploi avec quelques explications sur ces nouvelles identités visuelle et verbale.
A la lumière de ces deux éléments, comment le projet politique de « réappropriation (ou réactivation ?) de la valeur travail » trouve-t-il sa traduction dans cette refonte d’identité ? Il nous semble que c’est, essentiellement, dans le glissement sémantique « Emploi » / « Travail ».
Un « emploi » est la place que l’on occupe pour effectuer un travail, en échange d’une rétribution. Il nécessite un statut, une rémunération, un régime fiscal. Il porte avec lui, donc, une place dans la société et un lien avec elle.
Un « travail » est une tâche à accomplir pour un résultat attendu et produit. Il a traditionnellement en français une connotation négative (nous avons tous en tête le « tripalium ») .
Les deux sont souvent confondus, alors qu’ils sont liés, mais différents.
Par ailleurs, alors que « emploi » appelle un statut, une situation, un état, une forme de passivité, renforcée par l’usage du verbe avoir (« J’ai un emploi »), le travail appelle un effort, de l’énergie, une connotation renforcée par son aspect performatif (« Je travaille »). La sonorité de France Travail peut d’ailleurs s’entendre comme un impératif : « France, travaille ! ».
Mais il faut aussi regarder du côté de l’emploi (!) des termes « Pôle » et « France ». Volonté d’installer la marque « France », portée par ailleurs en communication publique, asseoir le pays, la nation, plutôt que la concentration autour d’un pôle : c’est ainsi que nous l’avons lu.
Comme souvent en communication publique, la volonté politique n’est jamais très loin !
Déclinaison du nom sur l’ensemble des supports, appropriation du nom par les salariés (14 salariés ont participé à la création du logo, c’est une étape d’appropriation en soi), par les bénéficiaires… Les conséquences sont grandes pour la mise en œuvre de ces projets, qui portent clairement une intention politique.

Sources :
Mission de préfiguration France Travail
Rapport de synthèse de la concertation
https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/289093.pdf
1- Loi pour le plein emploi :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048581935
2- Communiqué de presse Pôle Emploi : « Olivier Dussopt dévoile la nouvelle identité de Pôle Emploi » : https://www.francetravail.org/accueil/communiques/olivier-dussopt-devoile-lidentite-visuelle-de-france-travail.html?type=article
3- Le Monde : « Emmanuel Macron a dévoilé les principales propositions de son programme présidentiel » https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/17/emmanuel-macron-a-devoile-les-principales-propositions-de-son-programme-presidentiel_6117986_6059010.html
4- Voeux aux Français 2023
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/12/31/voeux-2023-aux-francais
5- Etude Ifop « Je t’aime , moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail »
https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Focus-234-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail.pdf